Symphonie Atomique : Badaboom


 Symphonie Atomique, d’Étienne Cunge


Attention, ça va péter !

Littéralement.

Désolé. Fallait que vous sachiez.

Tout le livre nous tient en haleine sur cette fameuse explosion, ce gros badaboom que l’on sait qu’il va arriver. Dès le 1er chapitre, on suit le type qui appuie sur le bouton. Donc ça va péter.

Mais où ? Sur qui ? Haha ! Je vois bien ta curiosité morbide, là, lecteur imaginaire ! Ben justement, on va en causer.

C'est pas comme ça qu'on cueille des pommes

    Le concept du récit, que l’on peut résumer comme une sorte de polar politique du turfu, est qu’il y a quatre grandes nations qui ont la bombe, celle avec un grand A, et que suite à de nombreux accords et cafouillages diplomatiques, toutes les ogives de la planète ont été envoyées en orbite, dans des stations spatiales militaires. Il y a les Russes (ah...), les Américains, les Européens et les Chinois. Les plus paumés sont, comme souvent, les Européens, qui ont une toute pitite station de moins d’une dizaine d’occupants alors que les autres ont des espèces de monstres avec des équipages de plusieurs centaines de personnes. Ça n’aurait pas plu au général, c’t’affaire, moi j’vous l’dis.

Vous me direz, c’est dans l’espace, qu’est-ce qu’on s’en fout ?

En fait, vu que les sorties spatiales, ça se fait sans trop trop de soucis, et qu’il y a des space marines cyberaugmentés (oui oui. Mais sans bolter lourd, désolé les geeks), il n’est pas impossible d’envahir une autre station par l’extérieur. Ce qui est un peu cool, mais un peu terrifiant. En plus, il y a des Russes.

Mais je m’égare dans des détails. Et les Russes (oh oui).

Bref, il y a quatre nations atomiques et les autres qui sont un peu jalouses, ou qui cherchent la protection desdites nations. Ça me rappelle un truc, mais je ne saurais pus dire quoi… ah, oui, mes cours de lycée sur la guerre froide.

À côté de ça, une bande de capitalistes veut survivre à l’apocalypse planétaire qu’est le réchauffement climatique (je ne sais pas si vous en avez entendu parler, ça passe de temps en temps aux infos, quand ça oublie de parler d’évasion fiscale) en se construisant un superbunker de la mort. Un peu en mode vaisseau générationnel, mais sur notre bonne vieille terre, et entre riches. L’angoisse. Le plan est donc d’attendre que l’Effondrement arrive, que tout le monde meure sauf eux, et qu’ils ressortent sur la Terre redevenue un Eden.

 

Problème : les sales petites gens normaux, elles, continuent à vivre, et vu qu’il n’y a pas vraiment eu de révolution écolo, à polluer. Les riches dans leur bunker (dont la plupart sont blindés via leurs activités économiques polluantes) ne veulent plus que les pauvres polluent ! Voyons ! Ils sont dégueulasses, là, à laisser traîner leurs emballages Lidl dans la nature. Moi, quand je prends mon jet privé, je ne reconnais plus ma planète, vu de là-haut. J’en pleure en buvant mon champagne et en mangeant mes œufs d’espèce animale menacée. Horrible. Je suis tellement à plaindre. Snif.

Face à un tel désastre, plutôt que d’arrêter leurs industries polluantes et utiliser leurs poids politiques pour mettre fin à la croissance thermique, la solution est… de buter tout le monde.

Bah oui.

Logique.

Je dois bien avouer que, sur ce point-là, l’auteur a une vision très juste du fanatisme de certains ultrariches (je te regarde très intensément, Elon Musk. Et n’essaie pas trop de te cacher, Jeff, j’ai deux yeux, hein).

Évidemment, la plupart des gens sur terre, tout comme les quatre grandes nations nucléaires, ils sont pas chaud chaud pour mourir en laissant la planète qu’aux riches (sérieux, la méga angoisse !). Donc le patron du bunker-pour-riches, qui se trouve être le fils du constructeur du bidule, hein, tant qu’à faire, met au point un plan pour désactiver les stations atomiques pour qu’elles ne pilonnent pas la planète en mode vitrification totale, et pour que les grandes nations entrent en guerre totale, MAIS pas nucléaires. Comme ça, tout le monde s’entretue tranquilou pendant que les richous se mettent à la fraiche, dans leur cave de richous.

J'aime pas trop trop les ultrariches, au cas où vous auriez eu des doutes
 

Dans le récit, on suit plusieurs personnages qui vont essayer de déjouer, ou au contraire d’appuyer ce plan. Une espionne geek européenne, un soldat du Moyen-Orient, le commandant de la Station Spatiale Européenne, et le fils du constructeur du bunker. Ce sale riche dégueulasse, là. On a quelques chapitres sur les dirigeants des grandes nations, aussi, mais ils sont plutôt rares, et ils servent surtout à la compréhension des enjeux mondiaux.

Chaque début de chapitre s’ouvre avec un extrait d’émission de Radio Collapse, dont le slogan est « faites un geste pour la planète : suicidez-vous », émission qui nous illustre assez cruement les effets du réchauffement sur la vie de tous les jours : incendie, perte de la biodiversité, mort des insectes, etc. Ça fonctionne très bien, et ça ajoute à l’angoisse du danger immédiat qu’est la destruction de la planète par la Bombe, celle de la destruction plus longue par le CO2.

Et c’est peut-être là où, pour moi, le livre botte un peu en touche. Parce que si j’ai adoré la lecture (c’est un excellent page-turner, comme on dit. Rien à voir avec Bill.), le fait que le livre finisse sur une résolution plus ou moins « happy-end » (vous lirez le bouquin), ça fait un peu relativiser le problème du réchauffement climatique. Même si c’est un problème de fond et permanent dans le récit (et en ce moment, hein, mangez vos riches), c’est un enjeu qui est central au début, et devient plus secondaire au moment de la résolution, l’intrigue se concentrant davantage sur la politique mondiale. Ce qui est, à mon avis, un peu dommage, car ça donne l’impression que, au final, ben c’est un peu résolu aussi, quelque part. Même s’il y a toujours des Russes. 

Comment ne pas les aimer, sérieux ?
 

Après, je critique, je critique, mais c’est une très bonne lecture ! Je suis tombé dedans et je l’ai finie en 2 jours, c’est dire si c’est immersif, comme machin ! Il fonctionne vraiment comme un blockbuster littéraire, avec des grosses scènes d’action, des métas-humains, de la guerre en apesanteur, des méchants très méchants, mais persuadés d’être les gentils, des hackeurs de génie, des espions, des trahisons, des Russes au grand cœur (<3), que du bonheur ! C’est dynamique, ça bouge dans tous les sens, on est vraiment dans un bon actioner de l’été, mais très, très conscient de son sujet. Ce qui est rafraichissant, il faut bien se l’avouer. Quand même. Soyons honnêtes. Surtout toi, là, au fond, qui a balancé ton emballage Lidl dans la nature. Tu crois que je t’ai pas vu ?! Sale gosse. Va faire la révolution écolo, plutôt ! Je t’ai dis que je ne reconnaissais plus ma bonne vieille terre, quand je vais faire un safari et buter des lions avec mes amis riches ? Pfh.

Retournons à nos pages. Il y a des fulgurances incroyables, qui sont discrètes et très puissantes : l’argent en Europe est un concept lié à l’impact écologique des gens. En gros, la terre peut encaisser « tant » par personne et par an. Ce chiffre est divisé en mois/jours/minutes/secondes, qui deviennent des « crédits écologiques », en gros, et donc une monnaie. C’est brillant ! Comme le fait que les citoyen.ne.s soient obligé.e.s de s’occuper d’un carré de végétation pour favoriser la vie des insectes et leur diversité, sinon ils perdent des crédits.

L’Europe est d’ailleurs une formation politique étrange, entre de l’écofascisme et une mise en commun des ressources, mais uniquement sur les territoires urbains. Les zones rurales sont « hors lois » (ce qui est très intéressant pour l’intrigue, mais vous lirez le livre).

Le livre parle aussi beaucoup du concept de solastalgie, ou écoanxiété. Je ne suis pas expert dans le domaine, mais l’auteur en fait une sorte de dépression grave incapacitante plus ou moins contagieuse, dont on ne se remet pas, et qui sature les services médicaux. Ce qui, quand on y réfléchit est assez malin, puisque les maladies mentales sont un vrai problème de société aujourd’hui, dont on ne parle que très peu, et qui empireront sans doute dans les années à venir (j’ai lu quelque part qu’un ado sur quatre perd le sommeil à cause de l’angoisse liée au climat. C’est terrifiant). 

 

Est-ce que ce livre donne de l’espoir pour demain ? Non. Mais il reste assez lucide, et même s’il ne vend pas une révolution qui résoudra les problèmes, il a bien cerné quel était le problème majeur dans nos sociétés : les ultrariches et leur « après moi le déluge ».

Est-ce que je recommande la lecture de cet ouvrage ? Oui. Très. Plein. Beaucoup.

Mais, si vous êtes sujet à l’écoanxiété, sachez où vous mettez vos mirettes, d’autant que l’auteur, Étienne Cunge, sait de quoi il parle, en sa qualité d’expert en développement durable.

Ce qui rend la lecture parfois un peu terrifiante.

Mais heureusement, il y a des Russes. En vrai, j’aime beaucoup les Russes et la Russie, hein, ne vous faites pas d’idées cheloues. D’ailleurs, quand je yacht sur le lac Baïkal avec Vladimir, je peux vous dire, je les adore ! Leur caviar est excellent et leur vodka cristalline. Un délice !


Bref, sauvez la planète, mangez vos riches.


 

Voilà, c'est sur ces paroles saines et reposées que je vous laisse, vous pouvez retrouver Zelda les mercredis et vendredis à 18h sur twitch.tv/doctriz, où elle parle de SF  avec beaucoup d'érudition (presque comme si c'était son domaine d'expertise de recherche, c'est vous dire le truc !).

Lisez de la SF,

Des poutous dans vos faces !

-Le Technicien de DoctriZ

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